Sensibilisation XXX

Afin de redonner de leur dignité aux travailleuses du sexe, une professeure de l’UQAM et son équipe tentent de briser les tabous sur le plus vieux métier du monde.
 
  
Dans le bureau de Maria Nengeh Mensah, au pavillon W de l’UQAM, des centaines de manuels s’entassent sur de hautes étagères. Leurs titres témoignent d’années de recherche sur la sexualité, le féminisme et les revendications sociales. Bien déterminée à passer de la théorie à la pratique, la directrice du programme de premier cycle de travail social a lancé il y a quelques mois le projet Sensibilisation XXX.
 
Formé d’une équipe multidisciplinaire, ce projet novateur cherche à améliorer les conditions de vie des travailleuses du sexe et à agir sur le problème d’exclusion sociale. «Aujourd’hui, on a beau avoir cette attitude très ouverte par rapport à la sexualité, on entretient encore beaucoup de préjugés à l’égard des personnes qui utilisent le sexe pour gagner leur vie», explique Maria Nengeh Mensah. Plutôt que de sensibiliser la population, le projet original vise à démystifier la prostitution auprès des services publics et communautaires, qui la côtoient quotidiennement. Les policiers, agents des services judiciaires et de la protection de la jeunesse, maisons d’hébergement, journalistes et élus municipaux sont ciblés. Des catégories de la population difficiles à influencer selon la professeure. «Leur rôle est avant tout répressif et réactif, déplore la détentrice d’une maîtrise en sexologie. Les policiers, par exemple, interviennent en cas de problème, généralement en arrêtant la fille, dont le métier est encore étroitement associé à la criminalité.» Selon elle, les prostituées sont exclues de la vie publique et vivent dans une certaine clandestinité. «Elles sont traitées comme des citoyennes de second ordre, sans protection de la police ou du système de santé.» Un état de fait qu’elle souhaite changer. 
 
Le projet s’articule autour de deux axes d’éducation: la publication d’une anthologie de la prostitution, recueil de témoignages, de textes académiques et de photographies des trente dernières années, et des sessions de formation pour démanteler les préjugés tenaces sur la profession. «Le projet porte un regard humain sur toutes les facettes inconnues du travail du sexe», explique le collaborateur et doctorant de l’Institut des femmes de l’Université d’Ottawa Alexandre Baril. L’anthologie, qui sera publiée en automne 2011 aux éditions Remue-ménage, fournira selon lui un discours alternatif en favorisant le partage d’expériences entre prostituées francophones.
 
La perception des travailleuses du sexe repose sur un fantasme collectif très éloigné de la réalité, estime Maria Nengeh Mensah. Le volet éducatif du projet part précisément du fait que les travailleuses du sexe sont des femmes comme les autres. Mères, épouses, amies, elles sont soumises aux mêmes affres de la vie que tout un chacun. «Les femmes ne peuvent être travailleuses du sexe sans être lues socialement à travers une lunette qui les place comme des déviantes, des victimes ou des putains», signale Véro Leduc, adjointe de recherche au volet formation depuis le printemps 2010 et ancienne directrice de Stella, un regroupement de défense des travailleuses du sexe.
Loi et filles de joie
Le Code criminel n’interdit pas la prostitution, mais réprime plutôt les activités qui s’y rattachent. De ces restrictions draconiennes découle une criminalisation de la profession, forcée de se retrancher dans l’illégalité pour survivre. Une situation qui favorise la violence et augmente le danger. «Devoir se cacher, être décrétée « criminelle » par la loi, pouvoir être vue comme une victime indépendamment de notre avis, notre pensée, notre parole, être discréditée pour cause de notre métier… Il y a tant de poids lourds dans les filages de la criminalisation et de la stigmatisation», explique Véro Leduc.
 
Le retentissant jugement Himel, rendu le 28 septembre dernier par la Cour supérieure de l’Ontario, jugeait inconstitutionnelles les lois qui entravent le métier. Le lendemain, le juge J.A.Rosenberg, de la Cour d’appel de l’Ontario, ordonnait une suspension du jugement jusqu’au 29 avril 2011 en invoquant l’intérêt public. «La décriminalisation des quatre articles de loi entourant la pratique du travail du sexe serviront certainement à créer un contexte social de légitimité, de sécurité et de dignité pour les travailleuses du sexe», précise l’ancienne présidente de Stella. Si la cause chemine jusqu’en Cour suprême, il se pourrait que les lois soient invalidées à l’échelle du pays.
 
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Infractions liées à la prostitution – Code criminel:
Article 210: Le fait de tenir ou de se trouver dans une maison de débauche (local qui est tenu, occupé ou fréquenté par une ou plusieurs personnes à des fins de prostitution […]).
Article 212: Le fait d’induire une personne à se livrer à la prostitution ou de vivre entièrement ou en partie des fruits de la prostitution.
Article 213 : Le fait de communiquer avec une autre personne, dans un endroit public, dans le but de se livrer à la prostitution.

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