Le bouddha de l’UQAM

Elijah Ary, réincarnation d’un moine bouddhiste

Elijah Ary a une vie digne d’un conte mystique. Il a vécu dans un monastère indien, a rencontré à plusieurs reprises le dalaï-lama, il parle tibétain et il a été reconnu comme la réincarnation d’un moine mort au milieu du XXe siècle. De retour en Occident, il enseigne aujourd’hui au Département des sciences des religions de l’UQAM.

 

 

 

 

Le silence plane dans la classe R-525 de l’UQAM. Quatre-vingts paires d’yeux ahuris sont rivées sur Elijah Ary, chargé de cours récemment engagé par l’UQAM pour y enseigner le bouddhisme. «Oui, j’ai été reconnu comme la réincarnation d’un moine tibétain, geshe Jatse», répond-il calmement à la surprenante question d’un étudiant. Son «coming out» déclanche un brouhaha de conversations.

L’homme de 36 ans au regard d’un vert paisible est habitué aux vives réactions suscitées par son statut de tulku, un être réincarné chez les bouddhistes tibétains. La vie de ce Canadien ressemble aux récits mystiques des personnages des livres sacrés. À huit ans, Elijah Ary a été reconnu par le dalaï-lama comme la réincarnation d’un geshe (maître) de l’école des Gelugpa, une branche du bouddhisme aussi appelée «les bonnets jaunes». Il est le premier Occidental à recevoir ce statut dans cette tradition ancestrale.
Dès l’âge de quatre ans, Elijah Ary a commencé à se remémorer les premiers souvenirs de ses vies antérieures. Il vivait alors à Montréal, avec sa famille convertie à la religion bouddhiste. Le jeune garçon racontait d’étonnantes histoires d’une planète inconnue. «C’était un autre monde. J’avais un maître qui s’appelait geshe Khonawa et des amis comme geshe Nyangnyé.» Ses parents, enchantés d’avoir un enfant si imaginatif, ont rapporté avec enthousiasme les fantaisies de leur fils à un abbé tibétain en visite. Celui-ci a été sidéré: ces personnes si naïvement mentionnées, il les avait connues au Tibet. Il est retourné en Inde, aussi fébrile qu’un moine puisse l’être, pour chercher l’identité de ce possible tulku. Grâce à la divination d’un oracle et du dalaï-lama, le verdict est clair: Elijah Ary est la réincarnation de geshe Jatse, mort en 1956. Il est alors invité à poursuivre son parcours spirituel amorcé dans une autre vie… en Inde.

La nouvelle ébranle la petite famille montréalaise. «Quand on est bouddhiste, c’est bien gentil de dire “la réincarnation, j’y crois”, jusqu’à ce que ça arrive à un proche et que ça vous oblige à vous séparer, avoue Elijah Ary, une pointe d’amertume dans la voix. C’était un moment très difficile.» Ses parents étaient déchirés entre être de bons parents et de bons bouddhistes. Ils ne pouvaient se résoudre à envoyer leur si jeune fils à l’autre bout du monde.

À 14 ans, l’appel du devoir, ou peut-être le karma, a eu le dessus et Elijah Ary a pris l’avion pour l’Inde. «Je n’avais pas forcément envie d’y aller et de tout quitter, mais je savais que c’était quelque chose que je devais faire.» Il a vécu six ans au monastère Sera, proche de la ville de Mysore, au sud du pays. Le jeune apprenti, fraîchement arrivé de l’Occident, est rapidement devenu la coqueluche de ses camarades de classe. Tous étaient très curieux de connaître ce tulku au teint clair et aux yeux verts. «Je me suis senti très bien tout de suite, se surprend-il encore. J’ai réussi à parler tibétain de façon courante en neuf mois.»

Pendant toutes ces années, Elijah Ary a étudié sans relâche la langue tibétaine et la philosophie bouddhiste. Après six ans d’apprentissage, l’avenir paraissait incertain pour le jeune homme. Qu’allait-il faire de sa vie? Pourquoi était-il né en Occident? «J’avais quelque chose à faire dans mon pays. Le plus important pour moi était d’être utile aux gens, de les aider et d’être disponible pour eux. Passer mon temps à étudier dans un monastère en Inde, ce n’était pas  être disponible.» Avec l’appui du dalaï-lama, Elijah Ary est reparti vers l’Ouest.

 

Le choc du retour
Le retour a été brutal pour celui qui avait passé le quart de sa vie dans un monastère. L’Amérique, terre de toutes les libertés, a ébranlé la naïveté du jeune homme. «Ça n’a pas été facile de me réhabituer à l’Occident, admet-il. J’ai eu un gros choc. Je ne savais plus comment me comporter.»

Persévérant, Elijah Ary a décidé de poursuivre ses études. Mais cette fois-ci, ce ne sera pas sur le sol des monastères indiens, mais sur les bancs de l’UQAM, pour un baccalauréat en sciences des religions. Il a d’ailleurs eu bien des difficultés à s’adapter aux études à l’occidentale, lui qui était habitué à mémoriser les textes sacrés. Il se rappelle encore le jour où son professeur lui a mis un «B» pour son examen sur la religion bouddhiste. «J’avais passé six ans à l’étudier, je n’y croyais pas!» dit-il en souriant. Il a ensuite effectué une maîtrise en tibétologie en France, où il a rejoint sa fiancée, son amour de jeunesse. Ils s’étaient connus à l’âge de 14 ans, un peu avant qu’il ne parte pour le monastère, et avaient correspondu durant son long séjour. «J’étais honorée d’être l’amie de quelqu’un de si spécial, se souvient Emmanuelle Ary, la tendresse dans la voix. Mais, je n’hésitais pas à le contredire! Je lui disais qu’il n’avait pas à se prendre la tête avec toutes ces histoires de réincarnation.»

À l’époque, Emmanuelle Ary n’était pas bouddhiste, mais l’expérience de son ami l’a poussée à revoir ses croyances. «Être réincarné, j’ignorais ce que cela pouvait bien dire. Mais en vivant avec Elijah, j’ai vu ce que cela signifiait au quotidien. C’est comme s’il avait un vieillard très sage à l’intérieur de lui, raconte-t-elle, pensive. Et c’est une personne profondément soucieuse des autres.»

C’est peut-être le goût d’aider ses semblables qui a poussé ce grand gaillard d’un calme désarmant vers l’enseignement, après son doctorat à Harvard. «J’ai toujours voulu enseigner. Ça me permet d’apprendre sur le bouddhisme et de partager mes connaissances. En même temps, dans un contexte universitaire, c’est un défi: les étudiants ne me laissent pas dire n’importe quoi. Ils sont très critiques et c’est très bien.»

S’il est objectif dans ses cours et considère la religion comme une science, Elijah Ary demeure profondément guidé par sa foi dans ses actes quotidiens. «Le but de la religion, c’est de devenir une meilleure personne, c’est de devenir profondément humain. Voilà ce que je cherche.»

Et la réincarnation, y croit-il toujours? «J’ai déjà remis en doute, mais plus maintenant.» Trop d’impressions de déjà vécu. Notamment la première fois où il a voyagé au Tibet et où il a découvert la maison dans laquelle il avait résidé dans sa vie antérieure. La certitude d’avoir habité cet endroit s’est imposé à lui si fortement qu’il s’est exclamé «Bienvenue chez moi!»

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